Il y a un an précisément, à l’issue de sa 17ème session plénière, l’Assemblée des Français de l’étranger publiait un texte timide mais adopté à l’unanimité, des vœux présentés au gouvernement concernant sa propre réorganisation. La réorganisation a bien eu lieu mais sans écouter les avis de l’AFE.
La représentation des Français de l’étranger est une longue histoire. Elle commence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par la création du Conseil supérieur des Français de l’étranger. Ce conseil rassemble des notables français habitant hors de France. Ils émettent des recommandations pour le Ministère des Affaires Étrangères. Aussi, Les membres élisent les sénateurs des Français de l’étranger dont le nombre ira croissant, parallèlement à l’évolution du nombre d’expatriés.
Ce conseil s’est ensuite élargit aux associations représentatives, en 1965, mais il a fallu attendre 1982 pour que ses membres soient en partie élus au suffrage universel par les Français établis hors de France. En 2004, le Conseil supérieur est devenu Assemblée des Français de l’étranger (AFE) à l’occasion d’une réforme élargissant son champ d’action et son organisation. C’est cette AFE, élisant ses vice-présidents, et dotée de 7 commissions et d’un bureau, que nous connaissons et qui s’est réunit la semaine dernière à Paris.
Le travail de l’AFE couvre de nombreux domaines, culturels, administratifs, dans l’éducation, l’action sociale ou le développement économique. Mais ses apports décisionels réels ne sont que chimères, et le ministère est le seul maître des décisions qui concernent presque deux millions de français.
En effet l’AFE, bien que légitime de par son élection au suffrage universel direct, n’a officiellement qu’un rôle consultatif, facultatif de surcroît. Les textes le rappellent : l’article 2 de la loi relative à la représentation des Français établis hors de France, promulguée le 22 juillet 2013, précise que l’ « AFE (…) peut être consultée sur la situation des Français établis hors de France et sur toute question consulaire ou d’intérêt général les concernant ; elle peut, de sa propre initiative, réaliser des études, émettre des vœux, avis et motions». Pour résumer, l’AFE peut faire un travail utile mais le ministre des affaires étrangères ne tient compte de ses avis que quand cela lui chante.
Cette année, le gouvernement a confirmé cette règle avec suffisance, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France. Ce projet de loi avait justement pour but d’améliorer le fonctionnement de l’AFE, afin de la rendre plus efficace, et plus proche des Français établis hors de France.
Cette réforme a été longtemps discutée avec les représentants des Français à l’étranger, jusqu’en septembre 2012 où l’AFE, réunie en session plénière il y a exactement un an, adoptait à l’unanimité un texte proposant notamment la consultation systématique de l’Assemblée dans les domaines de sa compétence, en remplaçant, à l’article 1er A de la loi du 7 juin 1982, les termes « peut être consultée » par « est consultée ».
Quand Mme Hélène Conway-Mouret, ministre chargée des Français de l’étranger, présente son projet de loi en janvier 2013, le remplacement proposé n’y figure pas ; ce qui irrite les membres de l’AFE. Ces derniers ne mâchent pas leurs mots. Lors de la session plénière de mars 2013. et Ils font passer un mauvais moment à la ministre déléguée puis réitèrent leur vœu de se voir consultés systématiquement.
Au Parlement, le texte subit de nombreuses modifications. Les débats s’étendent surtout sur des aspects électoralistes comme le découpage des circonscriptions, ou encore les modes de scrutin. Le rôle de l’AFE n’est pas absent puisque son nom change deux fois. Quelques parlementaires n’oublient pas les membres de l’AFE et déposent à plusieurs reprises des amendements visant à remplacer les termes « peut être consultée » par « est consultée ». (Au sénat, le 8 mars, amendement nº22 rejeté, à l’assemblée nationale le 13 mai, amendement nº4 rejeté puis le 17 juin amendement nº8 lui aussi rejeté.)
À chaque fois, le gouvernement se fend d’un avis défavorable au prétexte paternaliste : les membres de l’AFE n’auraient pas le temps d’être consultés sur tout.
La nouvelle AFE qui entrera en fonction l’année prochaine sera donc, comme aujourd’hui, une assemblée non pas délibérative, ni même consultative, mais bien une assemblée facultative. Malgré le travail et la légitimité de ses membres, il semblerait que certains pouvoirs ne se partagent pas, même avec un corps de représentants élus par les Français.
Aucun autre pays, à ma connaissance, ne donne autant de possibilités à ses expatriés de participer à la vie publique de son pays d’origine. Il semblerait dès lors injuste de critiquer la loi qui encadre cette avance que nous avons sur nos voisins. La loi du 22 juillet 2013 introduit d’ailleurs plusieurs changements qui vont dans le bon sens, notamment par la création des conseillers consulaires apportant plus de proximité entre les Français résidant hors de France et leurs élus. Mais l’absence de pouvoir effectif de ces représentants risque de réduire à néant les effets de ces quelques avancées.
Se focaliser sur le simple changement de deux mots dans un texte de loi peut sembler réducteur. Cet exemple, bien que sommaire, montre que l’AFE ne sert à rien. Elle est consultée et donne son avis, mais le législateur passe outre. Il passe outre pour rappeler que la consultation est optionnelle, pour signifier qu’elle n’est pas prise en compte. Une gifle à la face des 179 membres actuels de l’AFE, une avanie pour leurs électeurs, une caution pour les abstentionnistes.
Cet exemple, bien que rudimentaire, est symptomatique de la réticence de certains technocrates à faire évoluer la société vers plus de démocratie. Nous sommes dans un mouvement comparable à la résistance des préfets lors de la mise en place des régions en 1982. Alors qu’aujourd’hui la tendance va vers plus d’autonomie pour les collectivités territoriales, il reste encore beaucoup de travail pour que les deux millions de français vivant hors de nos frontières puissent disposer d’une véritable représentation. Espérons que les prochaines échéances concernant les Français établis hors de France apporteront le sang neuf qui contribuera au changement.